Guide 3 – Étude de cas : Melaka et George Town, villes historiques du détroit de Malacca (Malaisie)
Situation de départ
Les sites de George Town et Melaka ont été inscrits conjointement sur la Liste du patrimoine mondial en 2008 en raison de la richesse de leur patrimoine commercial multiculturel commun. Toutefois, ils ont également fait l'objet de critiques et d’un sentiment de « déconnexion » des résidents avec leur patrimoine, associé aux cultures et au colonialisme étrangers. En Malaisie, le tourisme était en hausse même avant l'inscription de ces sites. Entre 2000 et 2010, le nombre de touristes est passé de 10,2 millions à 24,6 millions. En 2009, 5,96 millions de visiteurs ont visité le Penang (dont la capitale est George Town), tandis que Melaka (capitale de l'État de Malacca) a accueilli près de 3,76 millions de visiteurs. Des tensions sont apparues entre le développement du tourisme et des infrastructures d’une part, et les exigences qu’imposent un site du patrimoine mondial et la sauvegarde de sa valeur universelle exceptionnelle d’autre part.
Quelles actions ont été entreprises ?
La stratégie touristique sur les deux sites est gérée par un consortium de parties prenantes issues de divers domaines liés au patrimoine et de fonctionnaires. Un tel mode de gestion favorise une approche participative qui prend en considération le point de vue des communautés et des parties prenantes. Afin de revitaliser les zones concernées, les « échoppes » traditionnelles ont fait l'objet d'une réutilisation adaptative – elles ont par exemple été reconverties en bars et restaurants – tandis que d’autres constituent des solutions d’hébergement chez l’habitant.
Priorités stratégiques
- Faire en sorte que le patrimoine revête un sens pour les habitants actuels.
- Préserver les éléments typiques traditionnels de George Town et Melaka qui en ont fait des sites du patrimoine mondial ayant une valeur universelle exceptionnelle (par exemple, les « échoppes », définies comme des structures uniques qui montrent clairement l'influence des styles chinois, malais, indien et européen, qui ont fusionné et mûri pour s’adapter à l'environnement local [1]).
- Assurer la viabilité économique des échoppes tout en conservant leurs façades traditionnelles.
- Mettre en place un système de gouvernance qui facilite la réalisation des priorités définies ci-dessus.
Qu’est-ce qui a fonctionné ?
Dans le cadre de la reconnaissance de sa valeur universelle exceptionnelle, l’offre de George Town et Melaka en termes de patrimoine mondial a été redéfinie comme du « tourisme culturel », l’accent étant mis sur le patrimoine urbain plutôt que sur le tourisme balnéaire pour laquelle la Malaisie est connue. Un organisme à but non lucratif, George Town World Heritage Incorporated (GTWHI), a été créé pour gérer, surveiller et promouvoir les éléments de la ville appartenant au patrimoine mondial, en collaboration avec tout un éventail de parties prenantes, notamment des spécialistes de la conservation, des représentants de l'État et des autorités municipales ainsi que des historiens et des praticiens de l'art. Dans ce cadre, un programme d'activités éducatives et culturelles a été créé. En outre, GTWHI fournit des conseils aux propriétaires, architectes et constructeurs; il organise des ateliers de développement des compétences; et engage la participation des écoliers, des étudiants et du public par l’intermédiaire de conférences et d’activités.
À George Town, on encourage la réutilisation adaptative pour donner une nouvelle vie aux bâtiments du patrimoine, selon le concept de « ville du patrimoine vivant ». Si beaucoup de commerces traditionnels ont disparu, les cordonniers par exemple, les échoppes abritent aujourd’hui des bars, restaurants et boutiques, où la population locale peut directement tirer profit des apports économiques amenés par les visiteurs étrangers. Des études ont mis en lumière des exemples positifs de réutilisation adaptative – qui augmente la stabilité et la durée de vie des bâtiments – et d’autres qui nuisent à la conservation du patrimoine. Leurs conclusions ont ensuite servi à éclairer la politique de conservation.
Le plan de gestion de Melaka reconnaît en outre la nécessité de concevoir un projet commun s’appuyant sur un partenariat entre le système de gestion du patrimoine culturel et le secteur du tourisme culturel. Afin de préserver les ressources du patrimoine et d’en souligner la singularité, des monuments et bâtiments tels que des mosquées, des temples et des hôtels ont été convertis en centres d’interprétation. Par ailleurs, la construction de nouveaux bâtiments est soumise à des directives strictes et ne doit pas déprécier la valeur universelle exceptionnelle du site.
En 2012, Melaka a organisé une conférence faisant le lien entre tourisme, patrimoine et culture. Elle a été l'occasion pour les éducateurs internationaux, professionnels de l'industrie, décideurs politiques et étudiants des cycles supérieurs de discuter des modèles de meilleures pratiques concernant l'usage des sites du patrimoine mondial à des fins touristiques.
Quelles ont été les difficultés ?
Les Gouvernements des États de Penang et Malacca ont suscité une grande méfiance, étant soupçonnés de préférer le développement à grande échelle à la sauvegarde du paysage urbain traditionnel des sites du patrimoine mondial nouvellement désignés (par exemple, dès son inscription sur la Liste du patrimoine mondial, la valeur universelle exceptionnelle de George Town a été immédiatement menacée par un projet de construction d’hôtel).
Des difficultés supplémentaires ont découlé du fait que le patrimoine de George Town et Melaka inscrit sur la Liste du patrimoine mondial a été perçu comme « non-Malaisien », incarnant des valeurs coloniales ensuite perpétuées par la floraison de bars et restaurants modernes, de style occidental, qui remplaçaient les entreprises familiales traditionnelles gérées par les échoppes historiques.
Comment ont-elles été surmontées ?
La stratégie de gestion de George Town et Melaka prévoit des efforts de collaboration avec les résidents et la définition d’une vision commune qui intègre autant de points de vue et préoccupations que possible. Les avantages financiers résultant de la réutilisation des bâtiments traditionnels ont contribué à faire participer les communautés locales, tandis que la taxe de séjour a permis de contribuer à la préservation et la revitalisation des bâtiments. Tout cela démontre les avantages des nouvelles stratégies de gestion qui ont été adoptées suite à l'inscription sur la Liste du patrimoine mondial.
Quels sont les résultats ?
Les habitants ayant réinvesti les vieux quartiers revitalisés de George Town et Melaka ont été encouragés à participer aux processus de prise de décision par l’intermédiaire de comités de résidents. Une partie des revenus générés par les recettes du tourisme est affectée à des fins de conservation – des études ont montré que 85% des touristes acceptent facilement de contribuer à toute forme de taxe spéciale si l'argent est utilisé pour renforcer les initiatives de conservation autour du site du patrimoine mondial.
Le succès des programmes collaboratifs entre les parties prenantes et la gouvernance se mesure en outre à la satisfaction des touristes et à leur perception de la « qualité de vie » (cette dernière étant particulièrement importante, dans la mesure où l'un des objectifs clés du plan de gestion est d'équilibrer les besoins de la population locale avec la valeur universelle exceptionnelle montrée aux visiteurs). L’« habitabilité » est quelque chose de difficile à mesurer, mais des tentatives d’évaluer ces facteurs ont été faites à travers une enquête réalisée auprès de résidents de George Town, qui a montré que l'habitabilité s’était amélioré principalement grâce à une meilleure cohésion sociale et à de meilleures conditions économiques dues au secteur du tourisme. Parallèlement, des enquêtes récentes (2012-2013) réalisées à Melaka ont montré que les éléments du patrimoine de la ville présentés aux touristes dépassaient leurs attentes, preuve que le système de gouvernance actuel a réussi à conserver les bâtiments et éléments historiques qui font partie de la valeur universelle exceptionnelle de la ville [2].
Quels enseignements les autres peuvent-ils tirer de cette expérience ?
La principale leçon à retenir de l'exemple de George Town et Melaka est qu’il est bon de créer un corps diversifié d'intervenants à qui l’on donne une plate-forme –- que ce soit par la création d'un organisme spécifique chargé de la gestion du patrimoine, ou l'intégration systématique de la consultation des parties prenantes dans le plan de gestion. Un tel mode de fonctionnement permet aux gens de partager leur vision du site et de repérer les possibilités qu'ils veulent exploiter, ainsi que de partager leurs propres expériences sur l’incidence à plus long terme des décisions de gestion sur les personnes.
L’exemple de ces sites montre également l'importance de la valeur universelle exceptionnelle comme attrait touristique, et de quelle façon l’utiliser comme outil de marketing pour attirer un type particulier de visiteurs qui valorisera les caractéristiques qui ont donné au site son statut de site du patrimoine mondial plutôt que de le considérer comme une destination touristique comme une autre. Le comportement des visiteurs et des résidents peut, et devrait, être surveillé régulièrement. La politique touristique pourrait être élaborée en fonction de cet élément et les méthodes de gouvernance adaptées à l'usage. Des enquêtes menées par des organismes et experts externes à George Town et Melaka montrent les collaborations et les ressources plus vastes que les gestionnaires de sites peuvent utiliser pour évaluer l’incidence de leur gouvernance et de leur politique.
Pour plus d’informations sur George Town et Melaka, leur plan de gestion, et les actions entreprises, rendez-vous sur leur page de ressources sur leur site officiel.